Avis de lecture : "Changer : méthode"

« Changer : méthode » Edouard Louis   BDA R. LOU

4e de couv. :

« Une question s’est imposée au centre de ma vie, elle a concentré toutes mes réflexions, occupé tous les moments où j’étais seul avec moi-même : comment est-ce que je pouvais prendre ma revanche sur mon passé, par quels moyens ? J’essayais tout. »

Avis de Christian :

En 2021, Edouard Louis publie Changer : méthode, un nouveau récit autobiographique, magnifiquement écrit, dans lequel il décrit la misère morale et matérielle dans laquelle il a vécu durant sa jeunesse picarde et son puissant désir d’émancipation. Au fil des pages transparaît son désir irrépressible de retrouver sa dignité personnelle et sa dignité sociale, qui est marqué par une étape décisive : son changement d’identité, au grand dam de son père.

Né Eddy Bellegueule, fils de M. et Mme Bellegueule, devenu Edouard Louis par décision de justice, il explique dans ce récit, comment sa dignité personnelle a été malmenée par ses parents dévoués mais incultes, les moqueries des enfants du voisinage et les pitreries des élèves qu’il a côtoyés. Tous raillaient son manque de virilité, son désintérêt pour le sport de masse et les émissions pitoyables de la télévision, son appétit pour la littérature et son attirance pour le théâtre. Issu d’une famille nombreuse, il en était « le vilain petit canard ». Il témoigne des âpres conditions de vie que lui imposaient la dureté consternée de son père et la pauvreté irrémédiable de sa famille, dans une région minière victime de la désindustrialisation où le chômage et l’inculture font des ravages, sans parler des choix électoraux.

Il voit, dans sa triste condition, l’origine de son désir de « s’en sortir » à tout prix. Dès lors la reconquête de ces deux dignités, qui se renforcent l’une l’autre et se confondent, s’impose. Il affirme tout au long du récit la nécessité absolue de transformer sa vie, géographiquement et socialement, à commencer par son patronyme, afin d’avoir les moyens de vivre librement et plus confortablement sa condition de jeune intellectuel homosexuel. C’est pourquoi il veut « changer ». Un désir si indomptable qu’il n’hésite pas, dans ce dessein, à rechercher la compagnie de personnes influentes ou d’hommes aisés et à mettre à profit ses rencontres amoureuses pour aller de l’avant.

Après avoir été rejeté par sa famille, puis après l’avoir lui-même rejetée, il finit par pardonner son père d’abord, sa mère ensuite, qu’il voit comme des victimes du système. Il revient, à de nombreuses reprises, sur les sentiments contrastés qu’il entretient pour eux. Il ne manque pas, enfin, de louer la chance qui lui a finalement souri en mettant sur sa route, à des moments clés, au lycée, puis à l’université, des personnes aimables et justes dont l’action a été décisive.

Son intégration au lycée d’Amiens, fêtée par sa famille comme un événement aux prolongements incertains, sa participation à la section Théâtre, son entrée à l’Université de la ville, ses rencontres avec des intellectuels célèbres, son engagement politique précoce à l’extrême gauche, puis son succès au concours d’entrée de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm sont autant de jalons qui marquent cette trajectoire méritante, obstinée et brillante, marquée par une boulimie de lectures.

A la détestation de la petite ville embourbée et rance de son enfance, Hallencourt, succède l’émerveillement suscité par la grande ville voisine, Amiens. Mais Amiens devient peu à peu le réceptacle de son aigreur en raison du caractère clos et sans surprise de la vie locale et du peu de rencontres pétillantes que l’on peut y faire. La capitale picarde prend, peu à peu, à ses yeux, les traits peu enviables de sa bourgade originelle.

Paris, très proche, brille trop pour qu’il puisse résister….